Essais  SF

Vibrhurlements

  Autobiographie d'un poulpe
, Actes Sud
 (2021)

Archive no 690 (fonds de l’association Sciences cosmophoniques et paralinguistiques)

Allocution de Tamara Cesnosceo lors de la réunion plénière annuelle de l’association Sciences cosmophoniques et paralinguistiques

Mes très chères et très chers collègues,

Je voudrais aujourd’hui vous parler d’une lettre que j’ai reçue tout récemment. Elle émane d’une de nos collègues arachnologue, la docteure Connie Grace, qui me dit l’avoir écrite à la suite de sa participation à l’expérience qu’a menée l’équipe du docteur Trovato au sujet des acouphènes. Dans cette lettre, la docteure Grace me dit avoir soudain compris que les sensations d’acouphènes seraient peut-être dues au fait que les araignées se trouvent obligées de surenchérir sur le “bruit de fond” que forme la pléthore d’ondes et de vibrations que nous ne cessons de créer dans nos environnements suranthropisés. Sa première intuition était que les araignées en quelque sorte “vibrhurlaient” (terme qu’elle a créé pour référer à l’effet d’un cri qui serait vibré) et qu’elles se seraient adressées aux arachnologues parce qu’elles ont pensé, dans le cadre des expériences avec diapason, qu’ils et elles parlaient la même langue. Notez que si c’est le cas, dit ma correspondante, nos recherches font-elles autre chose qu’ajouter du bruit au bruit ? Je la cite : “Ne devrions-nous pas repenser de fond en comble nos méthodes ? Nombre d’entre nous veulent « tester des réactions », d’autres tentent des dialogues, mais nous devons assumer que ce que nous avons fait jusqu’à présent, c’est interférer. Il ne s’agit pas de contester l’interférence – qu’est-ce que communiquer d’une espèce à l’autre sinon interférer ? – mais de le faire en sachant qu’ainsi nous rompons le pacte du silence des araignées. Sans doute devrions-nous imaginer d’apprendre à le faire avec la politesse et toutes les précautions de courtoisie de ceux qui entrent dans une autre demeure.”

Chères et chers collègues, cette lettre doit nous faire réfléchir. La docteure Grace parle de la rupture du pacte du silence, et c’est peut-être bien de cela qu’il s’agit. Les araignées ont fait le choix très sage d’occuper les interstices de la vision et de l’audition, de peupler de leurs propres histoires un monde où parler fait vibrer et où vibrer fait répondre – chanteuses silencieuses d’un chant porté par quantité de substrats15. Chanteuses silencieuses, leur poésie insonore s’écrit sur la vibration infime des toiles, des feuilles, des tiges, elles font chœur avec des grains de poussière qui dansent, avec le vent, avec des vibrations terrestres, des ondes telluriques et des événements cosmiques. Tout leur parlait et tout écrivait avec elles depuis des temps immémoriaux – et puis nous sommes venus. Mais imaginez un instant ce qu’elles doivent penser de nous ! Des bavards incohérents ! Pire ! Des barbares, des analphabètes, des illettrés ! Pensez ce qu’elles doivent se dire quand elles entendent cette cacophonie vibratoire sans grammaire, sans rigueur, sans rythme, sans ponctuation. Des borborygmes – et encore : nous découvrirons peut-être un jour que les borborygmes sont les chœurs lyriques des peuples bactériens qui assurent l’entretien de nos viscères. Quelle langue primitive nous leur imposons ! Qui n’est même pas une langue, en fait. Et avec les diapasons (voire les brosses à dents électriques), à quelles nouvelles désillusions ne les avons-nous pas confrontées ? Nous n’avons pas pris langue, nous avons fait du bruit.

Chères et chers collègues, nous devons nous rendre à l’évidence : ces prétendus acouphènes sont un signal fort que nous envoient les araignées. Il nous faut l’entendre. Non, il nous faut vibrer avec lui et le réverbérer. Nos recherches doivent en être l’écho.

Des fils à tirer

Pour rebondir, approfondir. Laissez-vous surprendre. 

Symbiotic

Designing for the Sixth Extinction

Carrykin

Vorby

La Guerre des Mondes

La Réserve de l’Info Locale

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