Le travail des Communautés du Compost consistait et consiste encore à faire parentèles, de façon délibérée, sur fond de graves dégâts et différences importantes. Au début du XXIe siècles, certaines formes d’action sociale historiques er certaines connaissances culturelles et scientifiques — élaborées en grande partie grâce au mouvement féministe anticolonial, antiraciste et pro-queer — avaient déjà sérieusement détricoté les liens jadis conçus comme naturels entre sexe et genre, race et nation. Mais peu à peu, la principale mission des Enfants du Compost consista à défaire l’attachement aussi destructeur que généralisé à ce lien, que l’on continuait de concevoir comme naturel, entre la parenté et l’arborescence généalogie reproductive biogénétique.
Afin d’être collective, la décision de donner naissance à un nouvel être humain était fortement encadrée dans les communautés émergentes. Pour autant, on ne pouvait contraindre personne à enfanter ni même sanctionner quelqu’un de vouloir le faire en dépit des règles de la communauté. De toutes les façons possibles, les Enfants du Compost prenaient soin des êtres venus au monde tout en travaillant et en jouant à transformer les dispositifs de la parenté et à réduire radicalement le poids des accablant que les populations humaines faisaient peser sur la Terre. On dissuadait donc les membres des communautés émergentes de faire des enfants à partir d’une simple décision individuelle, tout en chérissant activement leur liberté reproductive.
Déterminer ce en quoi consistait la liberté reproductive demeurait matière à controverses au cours des rassemblements des Enfants du Compost, et plus particulièrement ceux qui se tinrent les premières générations, lesquelles subissaient encore intensément les conséquences liées au nombre considérable d’êtres humains sur Terre. La Grande Accélération démographique commença approximativement après 1950. Elle atteignit son apogée à la fin du XXIe. Le processus qui s’efforcera de rééquilibrer et de réduire le nombre de d’humains sans exacerber les inégalités profondes s’avéra difficile, de toutes les manière imaginables et partout dans le monde. Certaines communautés s’efforcèrent d’adapter des approches en matière de droits, considérant qu’il s’agissait d’une décision qui incombait, en dernière instance, aux personnes — conçues comme des individus. D’autres héritèrent et inventèrent des façons très différentes de penser et de produire de nouvelles personnes ainsi que de ramifier les obligations et les prérogatives des autres parties prenantes. Contraindre à faire ou ne pas faire un enfant était considéré comme un méfait qui pouvait conduire au bannissement de la communauté. De violents conflits n’en éclataient pas moins en son sein. Fallait-il donner le jour à un nouvel enfant ? Qui et qu’est-ce qui était parent ? Pour les Communautés du Compost, les parentèles ne désignaient pas une parenté universelle et indifférenciée : la règle du jeu continuait d’être fondée sur l’inclusion et l’exclusion, comme cela avait toujours été le cas. Mais quelles exclusions et quelles inclusions ? Quelles extensions et quels rétrécissements ? C’est sur ces points qu’un changement radical, quoique souvent amené de façon cahotante, se produisit.
Les Enfants du Compost considérèrent la redéfinition théorique et pratique de la liberté reproductive en termes symbiotiques comme l’une de leurs principales obligations. […] Parmi les pouvoirs associés à la liberté reproductive, le droit et l’obligation de choisir un animal symbiote pour l’enfant à naître était considéré comme le plus précieux. Il concernait toute personne enceinte, quelque soit son genre. Les êtres humains nés dans le contexte d’une telle décision communautaire venaient au monde en tant que symbiote de bestioles appartenant à des espèces sérieusement menacées. Ils étaient ainsi liés à un tissu dont les motifs étaient formés par la vie et la mort de ces êtres particuliers et de tous leurs associés et dont les possibilités d’avenir s’avéraient elles aussi très fragiles. Les bébés humains nés d’un choix reproductif individuel ne devenaient pas des symbiotes biologiques, ils vivaient néanmoins bien d’autres formes de sympoïèse avec des bestioles humaines et non-humaines.