L'entreprise liquéfiée

L’entreprise en voie de liquéfaction

Dernière mise à jour le 21 janvier 2023
Le modèle de l'entreprise se voit concurrencé par l'émergence de nouvelles organisations collectives qui prennent appui sur les technologies de la blockchain pour redéfinir les modalités de création et de partage de la valeur. Avec quelles possibles incidences en termes de gouvernance et de contrat social ?

Sur fond de crise de sens et de remise en question des modalités d’organisation du travail héritées des deuxième et troisième révolutions industrielles, de nouveaux modèles d’organisations collectives font leur apparition, dans les industries créatives, dans le monde de la finance ou des services. Décentralisées, horizontales, inspirées par la philosophie qui anime les communautés du logiciel libre et celles de l’économie collaborative première mouture, elles reposent sur une redéfinition non seulement de la création et de la répartition de la valeur mais aussi des modes de gouvernance, des modèles juridique et financier classiques de l’entreprise et enfin de la notion même de travail.

Le travail y est ainsi entendu comme tout type d’activité qui créé de la valeur pour l’organisation et va du jeu à la réalisation de tâches et missions en passant par la formation ou la participation à la vie de l’organisation. La rétribution — symbolique et/ou financière — est directement liée aux ressources — temps, données, équipement et ressources informatiques — investies dans l’organisation et son fonctionnement. Pour les promoteurs de ces formes nouvelles d’organisations, elles constituent ainsi une réponse à la captation asymétrique de valeur par les entreprises.

Par bien des aspects réminiscentes des coopératives — sans le formalisme associé — elles prennent appui sur les technologies de la blockchain et plus particulièrement sur les Decentralized Autonomous Organizations (DAO) — organisations représentées par des règles encodées sur la blockchain sous la forme d’un programme informatique transparent, contrôlé par les membres et participant.es de l’organisation, affranchi de l’influence d’instances centrales de gouvernance. Présentées par certain.es comme le futur de la finance et des activités productives, émancipées du contrôle d’organisations centralisatrices, les DAO prolongent la tendance marquée depuis quelques décennies à la désintermédiation — qui permet de se passer de la médiation organisationnelle classique de la firme. Ce faisant, c’est le modèle lui-même de l’entreprise qu’elles viennent bousculer jusque dans ses modalités juridiques et financières. Mais, reposant sur une gouvernance algorithmique, elles n’échappent ni aux biais de leurs concepteurices, ni aux logiques d’accumulation du capital et de création de valeur du capitalisme néolibéral. Les uns et les autres pouvant très bien être encodé.es dans le programme responsable de leur administration.

Conjuguée à la crise de vocation des jeunes diplômé.es, à l’essor du travail indépendant et de l’économie de la création ainsi qu’au basculement dans un âge hyperindustriel et hyperpolarisé, cette renaissance des organisations autogérées est-elle le signe de l’obsolescence programmée du modèle de l’entreprise du XXe siècle ? Préfigure t’elle la liquéfaction de l’entreprise en tant qu’entité juridique et organisation ? Et alors à quel prix pour les individus qui pourraient gagner en liberté ce qu’iels perdraient en sécurité, financière, sociale et psychologique ? Pour l’environnement, alors que les technologies de la blockchain sont sous le feu des critiques pour leur coût énergétique et leur empreinte carbone ? Pour les États et territoires qui n’auraient que peu de prise sur une activité dématérialisée et déterritorialisée ?

Sources

Des fils à tirer

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