Littérature

États d’équilibre

  Écotopia
 (1975)

Le premier grand projet de son ministère après l’Indépendance, dit-il, consista à imposer aux habitants une économie domestique fondée sur l’état d’équilibre : tous les déchets alimentaires, les eaux usées et les ordures devaient être transformés en engrais organiques destinés aux terres cultivables, où ils entreraient à nouveau dans le cycle de production. Tous les foyers écotopiens ont donc pour obligation de trier leurs déchets afin d’en faire du compost ou des matériaux recyclables, ce qui doit exiger des efforts considérables de la part de chaque citoyen et mobiliser des armadas de camions-poubelles !

Selon le vice-ministre, le système des égouts hérité du passé était un simple mécanisme d’« élimination » des ordures. Les eaux usées et les déchets industriels n’étaient pas recyclés de manière productive, mais simplement rejetés, dans un état plus ou moins toxique, vers les rivières, les fleuves et les océans. C’était non seulement dangereux pour la santé publique et la vie des créatures aquatiques, mais cela représentait un gâchis inouï, une pollution inconcevable de la nature. Il ajoute en souriant que, si cette gabegie perdurait aujourd’hui, on y verrait une activité criminelle.

« Les documents que vous voyez là-bas, reprend-il, contiennent l’historique des sommes considérables dépensées pour la construction d’incinérateurs où l’on brûlait la vase des égouts. Leurs concepteurs étaient très fiers des cheminées d’où sortaient relativement peu de fumées toxiques. Nous avons bien sûr été accusés, comme nos prédécesseurs de Milwaukee, de “socialisme des égouts”. Nous avons néanmoins mis sur pied un système de séchage des boues et de production d’engrais naturels à l’échelon national. Au bout de sept ans, nous avons réussi à nous dispenser entièrement des engrais chimiques. Cela en partie grâce au recyclage des déchets autrefois déversés dans les égouts, en partie grâce à l’usage généralisé du compost, en partie aussi grâce à la rotation des récoltes et à l’adoption de nouvelles variétés de graines fixant l’azote, et en partie enfin par des méthodes inédites d’utilisation du fumier animal. Au cours de votre voyage en train, vous avez peut-être remarqué que nos animaux de ferme ne sont pas étroitement confinés comme les vôtres. Nous aimons que leurs conditions de vie s’approchent autant que possible de l’état naturel. Mais pas seulement pour des raisons sentimentales. Car nous évitons ainsi les gigantesques accumulations de fumier qui posent tant de problèmes dans vos parcs à bétail et vos élevages industriels de volaille. »

Cet exposé plein de suffisance éveille bien sûr mon scepticisme et je l’interroge sur les inconvénients économiques d’un tel système. Mes questions se heurtent alors à un déni absolu.

« Tout au contraire, répond-il, notre système revient infiniment moins cher que le vôtre, si nous ajoutons tous les coûts. Beaucoup de vos dépenses passent à l’as ou sont volontairement dissimulées au public et à la postérité. À l’inverse, nous devons assumer tous les coûts. Sinon, nous ne saurions espérer atteindre ces états d’équilibre vitaux qui constituent notre premier objectif écologique et politique. Si, par exemple, nous avions entériné votre habitude de rejeter tous les déchets dans les cours d’eau, tôt ou tard quelqu’un d’autre aurait calculé (et supporté) les coûts résultant de la mort des fleuves et des lacs. Nous préférons le faire nous-mêmes. Il n’est guère aisé de quantifier certains de ces coûts. Mais nous avons réussi à en faire une estimation justifiant notre politique, d’autant que la taille de notre pays est raisonnable. »

Il me fournit alors les analyses détaillées sur lesquelles se fondent ses assertions, et que j’ai depuis examinées à loisir. Néanmoins, seules des recherches approfondies pourraient les confirmer ou les infirmer. Ces études semblent étonnamment fouillées. Mais la situation politique des Écotopiens a permis à leur gouvernement de prendre des mesures impensables dans une démocratie aussi contrôlée et verrouillée que la nôtre.

Mots-clés : Homéostasie, Utopie
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