Tout, dans le jeu, est mis au service de la fabulation : ce qui était geste de menace devient invitation ; la poursuite, sur le mode du “faire-semblant”, devient incitation ; le grognement, expression de joie, sans compter l’inversion sans cesse rejouée des rapports de force. Joyeuses subversions. Chacun de ces jeux relève alors d’un acte de création. Ils font des animaux non seulement de très grands comédiens, mais également des dramaturges de talent – car jouer demande une scène, des prises de rôle, un sens du dialogue, des scénarios et, surtout, de l’imagination pour installer cette scène, incorporer ces rôles, écrire en temps réel, et avec d’autres, dans la grâce de l’improvisation, ces dialogues et ces scénarios.
Nous l’avons évoqué, les thérolinguistes soutiennent l’hypothèse que l’écriture, et donc les diverses formes littéraires ou poétiques de nombre d’animaux, a pu émerger du jeu. Par un nouveau détournement des puissances de la fiction qui se sont épanouies dans le jeu, le geste ludique se serait, à un moment de l’évolution, mis au service de l’art du récit. Ce qui était en œuvre dans l’art de jouer a été rendu disponible pour un art de fabuler, de raconter, d’inventer des possibles – les “on n’aurait qu’à dire que” que connaissent si bien les enfants –, puis pour l’art (ou la nécessité, ou la joie) d’écrire ce que l’on racontait. Voilà pourquoi nombre d’animaux doués pour le jeu sont en même temps des animaux littéraires – depuis les araignées et les cigales, comme l’ont montré nos collègues de l’association Sciences cosmophoniques et paralinguisitiques, jusqu’aux chiens ou aux manchots Adélie qu’ont étudiés les pionniers de la thérolinguistique »