« Bonjour les amis ! Je suis Tim, on ne se connaît pas encore très bien. Je suis désolé, je n’avais pas compris les enjeux de cette petite fête, je suis encore très nouveau. Voilà. Je ferai mieux la prochaine fois ! »
Pas de rire, cette fois-ci. Plutôt des soupirs, de la déception. Un moment de flottement, puis Doudou apparaît, récupère le micro sans croiser le regard de Tim et lui dit, toujours sans le regarder : « T’as fait l’entretien, t’as pris des engagements. T’es pas Tim-le-locataire, je paye et j’m’en fous, ça ne marche pas comme ça ici. » Tim a envie de lui casser la figure. Pour la première fois, il se le dit en conscience.
Plein de gens après ça viennent lui parler, surtout des vieux écolos très CO2-aware. On lui rappelle les règles, l’importance de l’engagement, ben oui, l’engagement ! BioDiv est au centre du projet du Corridor, monsieur Tim. On ne s’est pas battus pour la ligne verte Romanel-Vidy pour tout laisser tomber par négligence. Toutes les espèces méritent un bon plaid. Toutes, vous comprenez ? Il devrait pousser une gueulante, dégainer son bon vieil esprit de sarcasme, mais non. 20 min de bus. 95 m2 pour moins de 2000 balles. Tim laisse tout passer et garde la colère contre ces cons bien au chaud. Iris a été déçue aussi. Maintenant elle a disparu. Il ne pleut plus. Le soleil chauffe l’air humide, l’air est lourd, Tim aimerait se barrer d’ici, emmener Iris en ville, dans un cinéma climatisé manger des glaces industrielles. Il la cherche en cerclant autour du lieu de la fête, découvre son pantalon et ses chaussures en tas avec d’autres vêtements. Et plus loin, sa gamine, avec un paquet d’autres préados, en culotte et T-shirt, les pieds dans l’eau, en train de creuser dans le lit de la rivière pour en extraire de l’argile pour permettre aux plus petits d’avoir de la matière pour modeler.
« Non ! On n’y va pas maintenant ! On s’amuse super bien ! » (cheveux sales, vêtements sales, orties… Que va dire Lumia ?). Tim retourne au bar et se commande en soupirant une bière aux enzymes. Gaëlle le rejoint (toujours cette odeur, autour d’elle) ; il craint la suite de la litanie des reproches, mais non, elle est plutôt amicale. « Pas facile, les plaids, dit-elle. Moi, j’en ai trois.
– Ça consiste en quoi ? Tu peux m’expliquer ? J’ai zappé ce passage des explications, ça devait être écrit trop petit.
– Simple. C’est une politique de défense de la biodiv. Chacun assume la voix d’au moins une espèce, parce que bestioles et plantes ne peuvent pas parler, tu vois. Une espèce qui vit dans le Corridor, tu vois. Tu deviens son avocat : tu défends son intérêt dans les projets d’aménagement, tu négocies pour elle, tu lui arranges un bon cadre de vie. Tu deviens son plaideur et elle est ton plaid. Tous les deux ou trois mois, tu présentes un petit rapport sur l’espèce, et surtout tu veilles à ce que les projets d’aménagement ne lui nuisent pas. Pour ça, les insectes, c’est plus facile que les vertébrés. »